L‘icône et la présence de Dieu



Quand Joseph se réveille de son songe, il s’exclame : " «  En vérité, le Seigneur est en ce lieu et je ne le savais pas ! ». Il eut peur et dit : « Que ce lieu est redoutable ! Ce n’est rien moins qu’une maison de Dieu et la porte du ciel ! »" (Gn 28,16 - 17) 

La quête de Dieu habite le cœur de l’homme créé à son image et à sa ressemblance, mais l’Ecriture nous révèle que c’est bien davantage lui qui semble nous chercher depuis la perte de confiance dans le jardin d’Eden : « Où es-tu ? », dit Dieu à Adam (Gn 3,9). En venant à notre rencontre, il espère susciter en nous une réponse d’amour à son amour.

Sous la loi de Moïse, toute représentation de Dieu est interdite. Effectivement, comment est-il possible de représenter le Dieu invisible, transcendant, infini ? Dieu a voulu protéger son peuple d’une réduction de sa présence dans une image créée par des moyens humains. Revenant de la montagne du Sinaï, Moïse rapporte aux Israélites les dix commandements qui commencent ainsi : « Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi. Tu ne te feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre. » (Ex 20,3-4) Faire une image de Dieu revient donc à se faire un autre dieu et de l’adorer, de compter sur lui, au lieu de s’appuyer dans la foi sur le Dieu vivant et unique (cf. Dt 6,4). 
Dieu est un bon berger qui veut conduire son peuple selon son dessein d’amour, c’est pourquoi le Deutéronome dit: « Le Seigneur est seul pour le conduire ; point de dieu étranger avec lui. » (Dt 32, 12) Pour nous reconduire dans sa maison, il est allé jusqu’à venir lui-même sur la terre, en son Fils unique. Le Père « s’est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude » (Col. 1,19). Il l’a fait « resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance » (He 1,3). Il est devenu pour nous la porte du ciel par où passer pour célébrer les noces éternelles de l’humanité avec Dieu.

St. Jean écrit : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » (Jn1,14)

Pourtant, ce n’est pas parce que les disciples de Jésus ont vécu avec lui durant trois ans, qu’il leur a été facile de comprendre qu’ils ont vécu avec le Fils de Dieu. C’est plutôt lorsqu’ils ne l’ont plus vu, qu’ils l’ont compris, comme Jean devant le tombeau vide ou les disciples d’Emmaüs après la fraction du pain.  

L’image du Fils de Dieu incarné est restée gravée dans la mémoire des apôtres et des disciples et elle a dû se transmettre de génération en génération, puisqu’on trouve des ressemblances entre les icônes et le Saint-Suaire. Il n’y avait pas de photo à cette époque, ce moyen que nous utilisons volontiers pour garder présents à notre vue ceux que nous aimons.  L’icône est-elle comme une photo ? Non, elle est plus qu’une photo. Elle veut proclamer par son art pictural la vérité et la réalité historique de l’Incarnation. Grâce à celle-ci il est devenu possible de représenter Dieu en son Fils incarné.

L’icône n’est pas une image décorative du Christ, de la Vierge Marie sa mère, des saints et des anges ; elle existe pour nous rappeler la vérité de notre foi ; elle nous aide à renouveler l’acte de foi et à vivre ainsi dans la présence de Dieu. Mais elle ne sera jamais non plus une idole, parce que l’idole est une invention d’un dieu qui n’existe pas, alors que l’icône est un témoignage de l’Incarnation du Verbe de Dieu.

Celui qui vénère l’icône ne s’arrête pas à l’objet, mais il s’en sert pour entrer en communion avec la personne représentée. Ainsi elle fait le lien entre la vie présente et celle de l’éternité, entre les personnes qui vivent en ce monde et celles qui sont dans la gloire de Dieu.

Le sens de l’icône a encore un aspect auquel nous ne sommes pas habitués en Occident et qui est lié à ce que nous venons de dire. Elle nous parle de notre vie future dans la gloire de Dieu, de notre déification, expression chère aux orthodoxes.

L’icône attire par sa beauté, sa joie paisible, son rayonnement lumineux. Cette beauté spirituelle de l’icône élève l’âme et fait désirer ce à quoi nous sommes appelés, ce à quoi aspirent tous les hommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Car la nostalgie de la présence et de la vue de Dieu reste inscrite en chaque personne humaine.

La grâce du baptême nous donne de devenir le temple de Dieu, recréés à l’image du Christ; nous devenons une nouvelle créature (cf. 2 Co 5,17). St. Paul dit même que « nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire, comme de par le Seigneur, qui est Esprit » (2 Co 3,18). Nous n’avons plus le regard voilé, comme aveugle, incapable de voir Dieu. Ici-bas nous pouvons le contempler dans la foi avant de le contempler dans le face à face éternel. Notre espérance est ainsi fortifiée et notre amour de Dieu grandit, mais aussi le désir que tous les hommes connaissent le bonheur de la contemplation du Dieu unique et le don gratuit de la participation à sa vie. La porte du ciel est ouverte et offerte à tous.

Parce que l’icône est peinte selon des règles précises afin de transmettre la juste représentation de la Révélation divine, elle nous garantit qu’en la vénérant, nous entrons vraiment en communion avec la personne ou le mystère représentés et que cette communion est vécue dans la communion de l’Eglise qui garde le dépôt de la foi. Notre regard posé sur l’image fait pénétrer en nous ce que nous voyons et nous y fait pénétrer. Elle réalise pleinement sa mission quand nous devenons nous-même une icône du Christ .

Jacqueline Guillau
article paru dans la revue Christi Sponsa N° 73 en 2012